Faut-il abandonner les semelles pour la lombalgie
La Haut Autorité de Santé (HAS) a mis à jour en mars 2019 ses recommandations concernant la prise en charge de la lombalgie commune. L’accent est mis sur l’activité physique et une prise en charge biopsychosociale globale, en accord avec la littérature scientifique récente. Cette évolution est une bonne chose, car les précédentes recommandations dataient et n’étaient plus en adéquation avec l’état des connaissances. De notre point de vue de podologue cependant, l’avis rendu sur l’intérêt des orthèses plantaires choque : « les semelles orthopédiques ne sont pas recommandées ». L’un de nos traitements principaux est-il inefficace d’un point de vue scientifique ? Il faut d’abord rappeler que prouver l’inefficacité d’une thérapie peut s’avérer impossible : ne pas réussir à montrer qu’une thérapie est efficace ne signifie pas que cette thérapie est inefficace. Elle peut l’être selon d’autres critères encore non connus, néanmoins la preuve de l’inefficacité devient de fait irréalisable. Pour éviter ce biais argumentaire, il revient à celui qui affirme que son traitement fonctionne d’apporter la preuve de son efficacité. Les orthèses plantaires n’ont donc pas montré de preuves d’efficacité si l’on s’en tient à ces recommandations.
Analyse critique de la littérature
D’après la méta-analyse la plus récente sur l’efficacité des semelles (SO) sur la lombalgie, c’est effectivement ce que l’on constate [1]. Les semelles ne montrent pas d’effet significatif concernant la prévention ou le traitement d’un épisode de lombalgie. Si l’on se penche sur les résultats de cette méta-analyse, (figure 1), il n’y a pas de débat concernant la prévention. En revanche pour le traitement (figure 2), bien que l’effet ne soit pas tout à fait significatif, il s’en faut de peu. Cet effet général est représenté par le losange, avec une taille d’effet proche d’une valeur large en faveur des semelles (SMD=0.74). Cependant, l’intervalle de confiance haut croise légèrement la ligne 0, il existe alors une possibilité d’un effet nul. A ce niveau nous pouvons simplement parler d’une tendance à un effet bénéfique des SO. On remarque également que le nombre d’études est faible (quatre) et que l’hétérogénéité est importante (85.4%). Deux études (Shabat et Castro-Mendez) reportent un effet positif statistiquement significatif.
La seule étude ayant recherché une indication clinique des SO est celle possédant l’effet le plus important (Castro-Mendez et al). En l’occurrence, ils ont inclus uniquement des sujets avec un score Foot Posture Index supérieur à 6, soit une posture du pied en pronation, tandis que les autres études incluaient du tout-venant. Cette publication de bonne qualité (score Down & Black 79%, peu de risques de biais) montre une diminution du score EVA et Owestry (SMD respectivement de 1 et 1.91) au bout de 4 semaines dans le groupe SO.
Face à une pathologie aussi multifactorielle que la lombalgie [2], il est illusoire de déterminer LA cause. Toutefois le pied pourrait être un contributeur chez certaines personnes. La pronation a été associée à un risque plus élevé de lombalgie chez les femmes (OR = 1.5)[3], et une activation des muscles lombo-pelviens différente [4], les semelles pouvant modifier cette activation musculaire [5].
On peut également faire des reproches méthodologiques aux études de Almeida et Cambron. Concernant Almeida et al., l’effet est probablement sous-estimé, car les symptômes sont évalués sur la base d’un score entier de 0 à 4, ce qui est peu discriminant. En effet, le groupe SO et le groupe contrôle (semelle plate) se sont tous améliorés, passant respectivement de 2 et 3 à 1. A titre de comparaison, les questionnaires de référence Owestry et Roland-Morris donnent un score sur 50 ou 24 items, et une échelle EVA une valeur sur 100mm.
En ce qui concerne Cambron et al., l’effet pourrait être surestimé : les participants du groupe contrôle n’ont reçu aucun traitement, et donc aucun effet placebo. Leurs travaux ont été poursuivis avec cette publication [6] ou l’effet était encore plus important en ajoutant de la chiropractie aux SO … ce qui implique toujours une quantité de soin reçus différente entre les groupes et permet difficilement d’évaluer la spécificité des différents traitements !
Pour finir, cette publication en accès libre (non incluse dans la revue) met en avant l’importance des explications du thérapeute lors de la délivrance des SO [7]. L’effet des SO est cliniquement significatif à 16 semaines au questionnaire de Roland-Morris, bien que ce ne soit pas l’intérêt principal de cette étude car ce n’est pas un essai contrôlé randomisé. Sa force réside dans l’enregistrement des réactions des patients après avoir porté des semelles. Le processus complet de la consultation au port des semelles, en incluant une compréhension des attentes, des explications lors de l’examen, a des implications psychologiques qui pourraient affecter le traitement. Dans un modèle biopsychosocial, cette composante est essentielle, et permet de repenser la place de la consultation podologique et de la délivrance de semelles, qui n’ont pas uniquement un rôle de traitement mécanique.
Conclusion
Au regard de ces résultats, les études de qualité manquent pour affirmer que les semelles sont un traitement utile dans la prise en charge de la lombalgie commune, en particulier à long terme et en comparaison/adjonction aux traitements actuellement recommandés. Un essai contrôlé randomisé est en cours pour apporter une partie des réponses [8]. Cependant, l’étude de Castro-Mendez et al., la plus pertinente actuellement à ma connaissance, tant sur sa méthodologie que sur les critères cliniques utilisés, montre des résultats encourageants. Il s’agit plutôt d’une absence d’évidence que d’une évidence d’absence. De futures études devraient :
- S’intéresser aux critères d’indication clinique, visant à identifier les personnes répondant positivement aux SO. Pourquoi pas une modulation immédiate de la douleur, comme cela a été déjà fait pour le syndrome fémoro-patellaire [9] ?
- Identifier dans quelle mesure la personnalisation des semelles influe sur le résultat. En effet, les SO utilisées sont des semelles de série non modifiées ou des semelles « personnalisées » visant uniquement à prendre la forme du pied. Un traitement médicamenteux fonctionne avec une dose appropriée. Par analogie, les SO pourraient avoir un effet dose-réponse en fonction du choix des éléments incorporés [10].
Les données seraient ainsi plus fidèles à la réalité de la pratique clinique de nombreux podologues.
A titre subjectif, il semble que les semelles ne soient pas un traitement universel à utiliser en première intention pour la lombalgie. D’une part car les preuves sont faibles, les effets à long terme peu connus et l’histoire naturelle d’une lombalgie aiguë non spécifique est une guérison spontanée. D’autre part car des interventions plus générales mieux étayées (par exemple l’exercice physique) et permettant une auto-efficacité du patient sont possibles.
Cependant, selon la HAS, « l’usage de corset est envisageable bien que cela n’ait pas démontré d’efficacité ». De plus, aucun traitement non-médicamenteux ne possède de recommandation de niveau A (preuve scientifique établie), mais au mieux des recommandations de grade B (présomption scientifique). Dès lors, si les traitements de première intention ne sont pas suffisants, pourquoi se priver d’une option thérapeutique sans risques comme les SO, qui ont montré une efficacité importante chez une population pronatrice ? Elles peuvent également être vues comme un outil facilitant et accélérant la rééducation (notamment la reprise des activités), avec l’objectif d’être retirées lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
N.B. Les différences de longueur de jambe et la pertinence de leur prise en compte ne sont pas abordées ici car le sujet ferait l’objet d’un article à lui seul !
Clément POTIER, Podologue
- [1] Chuter, V., Spink, M., Searle, A., & Ho, A. (2014). The effectiveness of shoe insoles for the prevention and treatment of low back pain: a systematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMC musculoskeletal disorders, 15(1), 140.
- [2] Tousignant-Laflamme, Y., Martel, M. O., Joshi, A. B., & Cook, C. E. (2017). Rehabilitation management of low back pain–it’s time to pull it all together!. Journal of pain research, 10, 2373.
- [3] Menz, H. B., Dufour, A. B., Riskowski, J. L., Hillstrom, H. J., & Hannan, M. T. (2013). Foot posture, foot function and low back pain: the Framingham Foot Study. Rheumatology, 52(12), 2275-2282.
- [4] Yazdani, F., Razeghi, M., Karimi, M. T., Bani, M. S., & Bahreinizad, H. (2019). Foot hyperpronation alters lumbopelvic muscle function during the stance phase of gait. Gait & posture, 74, 102-107.
- [5] Bird, A. R., Bendrups, A. P., & Payne, C. B. (2003). The effect of foot wedging on electromyographic activity in the erector spinae and gluteus medius muscles during walking. Gait & posture, 18(2), 81-91.
- [6] Cambron, J. A., Dexheimer, J. M., Duarte, M., & Freels, S. (2017). Shoe orthotics for the treatment of chronic low back pain: a randomized controlled trial. Archives of physical medicine and rehabilitation, 98(9), 1752-1762.
- [7] Williams, A. E., Hill, L. A., & Nester, C. J. (2013). Foot orthoses for the management of low back pain: a qualitative approach capturing the patient’s perspective. Journal of foot and ankle research, 6(1), 17.
- [8] Sadler, S., Spink, M., Cassidy, S., & Chuter, V. (2018). Prefabricated foot orthoses compared to a placebo intervention for the treatment of chronic nonspecific low back pain: a study protocol for a randomised controlled trial. Journal of foot and ankle research, 11(1), 56.
- [9] Collins, N., Crossley, K., Beller, E., Darnell, R., McPoil, T., & Vicenzino, B. (2008). Foot orthoses and physiotherapy in the treatment of patellofemoral pain syndrome: randomised clinical trial. Bmj, 337, a1735.
- [10] Telfer, S., Abbott, M., Steultjens, M. P., & Woodburn, J. (2013). Dose–response effects of customised foot orthoses on lower limb kinematics and kinetics in pronated foot type. Journal of biomechanics, 46(9), 1489-1495.